Un matin, à l’aube, le cauchemar commença.
Un cri strident transperça le silence feutré de YaniLand, un mélange entre une alarme détraquée et le dernier souffle d’un chat coincé dans un tuyau.
— WAAAAK ME UUUUUUP IN THE MORNIIIIIN’
Les habitants sursautèrent dans leurs lits. Certains tombèrent de leurs hamacs. Une chouette fit une crise de panique et exécuta un triple axel involontaire avant de s’écraser dans un buisson.
Un coq venait d’arriver à YaniLand.

Un coq des îles. Un showman incompris, un artiste maudit, une star née sans public à sa hauteur.
Son nom ? Raoul.
Son rêve ? Devenir une idole mondiale.
Son problème ? Il chantait comme un pneu qui crève.
Raoul avait quitté son île natale après avoir entendu une rumeur bouleversante : le plus grand concours de chant du monde se déroulait à YaniLand.
Une fake news de premier ordre, bien sûr. Le concours en question se passait sur un autre continent, à des milliers de kilomètres de là. Mais Raoul, dans son enthousiasme aveugle (et légèrement sourd), avait déjà acheté son billet et fait sa valise avant même de vérifier l’info.
Et maintenant, il était là.
Prêt à convertir ces ignares à l’art du karaoké.
Il essaya tout :
Il organisa des afterwork où tout le monde devait pousser la chansonnette (échec cuisant).
Il improvisa des performances en pleine rue (tentative avortée par un jet de chausson).
Il distribua des flyers pour ses “Masterclass de Pop Star” (déchirés sur place).
Mais rien n’y faisait : YaniLand ne voulait pas chanter.
Frustré mais persévérant, Raoul décida d’éduquer les oreilles de ces pauvres ignorants en leur offrant son art, gratuitement.
TOUS. LES. MATINS.
À 5h pile.
Sans faute.
Dès les premières notes, on aurait dit qu’une horde de banshees s’étaient donné rendez-vous pour un sacrifice vocal.

Les habitants n’en pouvaient plus.
On tenta de négocier. Échec.
On tenta de le soudoyer avec des graines bio. Il refusa, artiste incorruptible.
On tenta de cacher son micro (il en avait un de secours).
Il fallait une solution radicale. Un soir, un comité de crise se réunit dans le plus grand secret.
Rio le raton laveur suggéra de le mettre dans une valise et de l’expédier au concours (où il se ferait sûrement huer et oublierait YaniLand à jamais).
Simon le hérisson proposa de le kidnapper et de le planquer dans une cave insonorisée.
Enrico le perroquet, lui, eut une idée brillante : lui faire croire qu’il avait été sélectionné pour une tournée mondiale.
Un faux contrat.
Un faux billet d’avion.
Un faux manager (un renard avec une moustache en feutre).
Le lendemain, Raoul reçut une lettre officielle.
"Félicitations ! Après analyse de votre immense talent, vous êtes sélectionné pour représenter votre pays sur la scène internationale !"
Les habitants retinrent leur souffle.
Raoul lut.
Raoul trembla d’émotion.
Raoul hurla de joie.
— VOUS AVEZ ENFIN RECONNU MON GÉNIE !!
Et sans attendre, il fit sa valise et déguerpit le jour même, la larme à l’œil, en promettant qu’un jour, il reviendrait en star…
… Ce jour-là, YaniLand verrouillerait ses frontières.
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