GERMAIN LE POULPE
- Yani Creation
- 18 juin
- 3 min de lecture
Germain le poulpe était un infirmier entre terre et mer. Avec ses huit tentacules agiles, son calme légendaire et son bonnet rayé vissé sur la tête, tout le destinait à devenir un soigneur hors pair dans le Grand Hôpital Corallien de YaniLand. Il recousait une carapace fendue en deux temps trois mouvements, faisait des bandages parfaits autour des pinces fracturées, et savait même calmer les crises d’angoisse avec des tisanes de limon vert et de plancton fermenté.
Mais Germain avait un secret.
Un lourd, gluant et bien embarrassant secret.
Germain avait une peur bleue… des aiguilles.

Oui. Un infirmier phobique des piqûres.
Ironique, non ?
Chaque matin, il enfilait religieusement ses huit petits gants en latex (un exploit logistique à lui tout seul), ajustait son bonnet d’infirmier décoré d’une étoile de mer brodée, et sifflotait sur le chemin de l’hôpital.
Mais dès qu’il s’approchait de la salle des injections, son teint virait du violet au vert, puis au jaune, puis à un genre de rose saumon très peu rassurant.
On aurait dit une palette Pantone qui aurait pris un coup de chaud.
Et pourtant, personne ne le remplaçait. On disait de lui :
« C’est le seul qui a réussi à calmer le hoquet d’un dauphin par hypnose. »
« Il fait des massages tentaculaires qui font oublier à mamie Doris qu’elle a quatre hanches en plastique. »
« Il prépare des infusions qui te font rêver que t'es un hippocampe volant. »
Un jour, le destin (ou plutôt la maladresse) frappa fort.
Archibald le bernard-l’hermite, bien connu pour sa collection de bouteilles de vin vides (et parfois pleines), se présenta à l’accueil avec une pince coincée dans un magnum de rouge de 1987. L’affaire était sérieuse. Il fallait une injection anesthésiante pour lui décoincer la pince sans douleur.
Tous les autres infirmiers étaient pris – entre une anguille enrhumée, un crabe claustrophobe et un narval allergique au sel.
Germain était seul.
Il prit une grande inspiration d’eau salée, attrapa la seringue avec un tentacule tremblotant… et s’évanouit proprement, tombant dans un bruit mou sur le sol carrelé.
Dans sa chute, il se planta la seringue dans le menton.

Archibald, après avoir cligné plusieurs fois des yeux, retira la seringue, décoinca sa pince tout seul (avec les dents), et installa Germain en position latérale de sécurité sur un lit de méduses.
Il se réveilla une heure plus tard, confus, en train de murmurer :
« Je veux devenir fleuriste… »
À partir de ce jour, Germain prit une décision : il renoncerait aux aiguilles et se spécialiserait dans les médecines dites “douces” (ou “bizarres”, selon les autorités marines).
Il mit au point des inhalations d’algues apaisantes (un peu hallucinogènes mais très relaxantes), des massages synchronisés avec des chants de baleines, et des onguents à base de mucus de limace perlée (très à la mode dans les spas à tortues).
Rapidement, les patients affluaient. Et surtout… les petites vieilles de YaniLand.
Elles l’adoraient.
On murmurait dans les couloirs des EHPAD sous-marins :
« C’est à cause de son accent, il est originaire de la lagune, c’est trop sexy. »
« Il nous prépare des cocktails qui nous font voir des hippocampes roses danser sur un ukulélé. »
« Moi, j’y vais pour les massages, mais aussi parce qu’il sent bon le sel et la lavande. »
Alors, charme naturel ?
Ou fournisseur officiel de tisanes douteuses ?
Mystère.
Une enquête est en cours, dirigée par Inspecteur Moustache, un chat persan reconverti dans la police aquatique.
Mais pour le moment, Germain continue d'exercer, bien loin des aiguilles, mais toujours au plus près des cœurs (et des ventres à masser).
Et à YaniLand, c’est tout ce qui compte.
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